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REFLEXIONS A L'OCCASION D'UN DEPART EN RETRAITE

 

Quand on a consacré 38 ans de sa vie à la Jeunesse, dont 35 dans les Foyers de la Marine, on ne peut, au moment de quitter le harnais, s'empêcher de jeter un regard en arrière et de suivre en pensée les heures les plus exaltantes de sa carrière.


Les traits de tous les visages connus revivent dans la mémoire, les scènes vécues ensemble se projettent avec plus de vigueur sur l'écran du souvenir, et l'on est parfois envahi, presque malgré soi, d'un peu de nostalgie à la pensée de tant d'amis, souvent disparus, qui furent, chacun à sa place, les « pionniers » de la première heure.


Comment ne pas évoquer d'abord ici Monsieur Georges GRANDPERRIN, notre « ancêtre » à tous, dont l'influence fut si profonde sur tant d'entre nous, et qui fut en grande partie l'artisan de ce que nous appelons « l'esprit Foyers » ?


Je le revois encore, en ce jour de septembre 1945 où il vint me rendre visite pour la première fois dans « mon » premier Foyer de la rue Thiers à CHERBOURG, en compagnie de l'Amiral PERIES qui devait, quelques semaines plus tard, devenir le premier Chef du Service Central des Sports et Foyers. Dès le premier contact, je fus saisi par l'ardeur et la foi qui rayonnaient de lui et je ne doutai pas que la voie qu'il préconisait fût la bonne : en chaque Port créer un « Foyer du Marin » (comme on disait alors) avec des annexes dans les diverses Unités, dirigés et animés par un personnel motivé formé spécialement à cet effet.


Bien sûr, aujourd'hui, cela nous semble tout naturel, presque évident, mais à l'époque ! ... Que de combats il fallut mener ! Que de sarcasmes à encaisser ! Que d'incompréhensions à vaincre ! Et ce de la part de tous les échelons du Commandement dont beaucoup nous traitaient ironiquement d'amuseurs publics. Bien rares furent, à l'origine, les responsables vraiment convaincus de l'utilité de notre action, mais je dois dire ici que nous leur devons beaucoup car ils surent nous épauler avec ténacité et efficacité et mener avec nous le bon combat en toutes occasions. Qu'ils soient tous remerciés pour cet foi qu'ils ont ainsi affermie en nous : je pense au Commandant JAUREGUIBERRY, premier Directeur du F.E.F. TOULON nouvelle formule ; au Capitaine de Vaisseau BOURGOIN et à tant d'autres que je ne peux nommer tous, qui nous aidèrent dans notre tâche, tant à PARIS que dans les Régions Maritimes ou dans les diverses Unités de la Marine, convaincus de la justesse de notre combat non seulement en faveur de l'amélioration des conditions de vie du marin, mais aussi et surtout en faveur d'un épanouissement de la personne humaine sur le plan moral et culturel ; cet aspect « éducatif » (comme l'on disait alors) constituant en réalité la finalité essentielle de toute notre action, et la justification même de notre existence.


Je revois aussi nos camarades disparus : BERGER, Lieutenant de Vaisseau de Réserve, et grand résistant, issu comme moi-même de la Marine Marchande, et fondateur du F.E.F. BREST au moment même où je fondais celui de CHERBOURG, mais avec des difficultés peut-être encore plus grandes ; l'ami BECK, Directeur du Foyer de la B.A.N. LARTIGUE, en Algérie, qui dut faire face en 1955-56 aux tentatives d'intimidation du F.L.N., lequel n'hésita pas a truffer, à plusieurs reprises, la porte de sa petite maison particulière, assez isolée, à TAFARAOUI, de rafales de mitraillette, mais qui tint bon, ainsi que sa famille, dans les conditions que l'on devine ; Elisabeth BOISSAT tragiquement disparue en service commandé dans la catastrophe aérienne de PREMIAN, le 25 novembre 1977, avec son Commandant en Second et tous ses "bons petits" du BAGAD du G.E.M. ST-MANDRIER et dont la Marine, pour perpétuer le souvenir, tint à baptiser de son nom le nouveau Foyer de son Unité.


Je ne puis non plus oublier les heures difficiles ou exaltantes, tour à tour vécues sous les ordres de Chefs tels que : l'Amiral JOURDAIN, mon Préfet Maritime une première fois à CHERBOURG alors qu'il était tout jeune Contre-Amiral, une deuxième fois à BREST en qualité de Vice-Amiral d'Escadre ; l'Amiral GELI, à ORAN, sans l'appui et la confiance duquel les Foyers n'auraient jamais pu accomplir en Algérie l'oeuvre importante qu'ils ont accomplie, y compris sur le plan Inter-Armées, avec la création des "Foyers provisoires" en zone opérationnelle d'une part et du Foyer Inter-Armées "LYAUTET" à ORAN qui vit défiler tant de militaires de toutes armes aux dernières heures, combien difficiles, de l'ALGERIE FRANÇAISE ; l'Amiral PATOU connu une première fois alors que, Capitaine de Vaisseau, il commandait le C.I.O.A. ARZEW, puis retrouvé comme Contre-Amiral Commandant la Marine à LORIENT, enfin comme Chef d'Etat-Major de la Marine.


Deux autres grandes figures de la Marine me reviennent en mémoire : le Capitaine de Vaisseau PONCHARDIER (promu Amiral depuis lors et disparu tragiquement dans un accident d'avion en Afrique), alors Commandant de la D.B.F.M. à NEMOURS et qui salua la mise sur pieds, en 3 jours, du premier Foyer de cette Unité dans des conditions particulièrement difficiles d'un bref mais combien vibrant "chapeau les Foyers !" ; son Second de l'époque, le Capitaine de Frégate DE JOYBERT, devenu par la suite Amiral Chef d'Etat-Major de la Marine et qui fit tant pour les Foyers dès qu'il fut en mesure de le faire.


Je n’aurai garde d'oublier non plus, parmi les nombreux Chefs sous les ordres desquels je fus appelé à servir, l'Administrateur en Chef des Servies Centraux FABRIKANT qui, de 1945 à 1972, assura la continuité dans le changement progressif de la politique de l'Etat-Major de le Marine vis-à-vis des Foyers et la rédaction de l'immense majorité des textes qui les régissent encore, et le Capitaine de Vaisseau LEBOUCHER (aujourd'hui Amiral du Cadre de Réserve) qui lui succéda, mettant tout son poids dans la balance pour emporter les décisions finales des réformes devenues nécessaires tant pour le Personnel civil de Direction des Foyers que pour les Corps nouveaux de Personnels Militaires "Foyers" au statut desquels nous avions travaillé ensemble, avec les divers autres bureaux de la D.P.M.M. intéressés.


Actuellement, est-il besoin de le rappeler, les Foyers, autrefois dirigés uniquement par du personnel civil, sont en pleine période de transition puisque peu a peu le P.C.D.F. dégagé des cadres ou partant en retraite est remplacé par du personnel militaire, formé par lui certes, mais jouissant d'un statut fort différent. Si en 1980 les Foyers sont déjà tout autres que ce qu'ils étaient en 1946, il est bien évident qu'ils sont encore appelés à changer davantage d'ici les dix ou vingt ans qui viennent, c'est-à-dire quand ils seront entièrement dirigés par des personnels militaires, avec tous les avantages et inconvénients qu'entraînera fatalement cette mutation.


Il convient donc d'ores et déjà non seulement d'en être bien conscient mais de préparer avec lucidité et de suivre avec attention la mutation en cours si l'on veut qu'elle s'effectue harmonieusement, c'est-à-dire sans faire perdre sa raison d'être, et éventuellement jusqu'à son âme, à l'organisation même des Foyers de la Marine, jadis si enviée par les autres Armées.


C'est le voeu ardent et sincère que je formulerai du fond du coeur à l'intention de tous mes camarades et successeurs, civils et militaires, confondus en une même affectueuse pensée, en ces dernières heures de « service actif », certain que les institutions n'ont d'efficacité qu'en fonction des hommes qui les animent, et que la génération qui monte - contrairement à ce que certains vieux pessimistes bougons prétendent - n'est en rien inférieure à la mienne, j'en suis profondément convaincu.


Certes, le monde évolue ; très vite même. Mais l'évolution n'est-elle pas le critère même de la Vie ?


A tous je souhaite de connaître des heures aussi exaltantes que celles qu'il m'a été donné de vivre au service du Marin, c'est-à-dire au service de l'Homme.


R.J. CHARPENTIER